Par Philippe Gelie
INTERVIEW EXCLUSIVE - Le vice-président américain, qui est reçu ce lundi par François Hollande, détaille les priorités des réformes d'Obama pour son second mandat et met en garde l'Iran.
Joseph R. Biden, 70 ans, effectue une tournée en Europe qui l'a conduit ce week-end en Allemagne et qu'il achèvera au Royaume-Uni après une étape à Paris. Il a accordé une interview exclusive au Figaro.
LE FIGARO. - Quels sont les objectifs de votre tournée en Europe et de votre visite en France?
Joe BIDEN. - Les partenaires de l'Amérique de ce côté-ci de l'Atlantique restent nos plus vieux amis et nos plus proches alliés. En tant que vice-président, j'ai plus voyagé en Europe que dans aucune autre région du monde. Cela démontre la force du partenariat transatlantique et son importance pour les États-Unis. Ni l'Europe ni les États-Unis ne peuvent affronter les défis de notre temps l'un sans l'autre. Avec l'Europe, l'Amérique partage des valeurs communes, des intérêts, des capacités et des objectifs communs ; nous répondons plus efficacement aux mêmes défis globaux si nous agissons ensemble.
Il y a plus de deux siècles, les Français se sont tenus à nos côtés lorsque notre jeune nation aspirait à l'indépendance. L'histoire de nos deux Républiques est inextricablement liée. La France est notre plus vieil allié et je m'y rends aujourd'hui parce que nos destins et nos intérêts restent profondément entremêlés. De l'Afghanistan à la Libye, de l'Iran au Mali, de l'économie mondialisée au changement climatique, les États-Unis abordent les défis de notre époque ensemble avec la France.
Joe Biden et son épouse, Jill, à leur arrivée à l'aéroport d'Orly, dimanche. Crédits photo : POOL/REUTERS
Alors que la France est en guerre au Mali, Washington a consenti son aide après quelque hésitation. Est-ce parce qu'au sortir d'une décennie de guerres, les États-Unis préfèrent «diriger de l'arrière» ou parce que vous ne voyez pas cette région du monde comme une priorité stratégique?
Il n'y a pas d'hésitation de notre part. Nous partageons les objectifs de la communauté internationale de priver les terroristes de tout sanctuaire et de restaurer une gouvernance démocratique au Mali. En ce qui concerne l'opération militaire menée par la France, les États-Unis ont fourni un appui significatif - incluant échanges de renseignements, transport aérien et ravitaillement en vol - que le président Hollande et d'autres ont chaleureusement accueilli. Il est également important que nous collaborions pour aider les pays participants à mettre sur pied rapidement la Mission de soutien africaine (Misma). Les États-Unis contribuent aussi à cet effort de manière importante, grâce au transport aérien et au soutien logistique apporté aux forces arrivant à Bamako.
Le volet politique n'est pas moins essentiel. Les États-Unis et la France ont appelé à la mise en œuvre rapide de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l'ONU afin de restaurer la stabilité dans l'ensemble du Mali. Au côté de la communauté internationale, nos pays ont aussi encouragé le gouvernement intérimaire à établir une feuille de route en vue d'organiser des élections dès que ce sera techniquement faisable. Assurer la stabilité à long terme du Mali et la mise en place d'un gouvernement représentatif ne requerra pas seulement les efforts des États-Unis et de la France, mais l'implication des pays de la région et au-delà, ainsi que des institutions internationales. Nous continuerons à les assister dans ces efforts.
L'Administration Obama assure qu'elle fera «ce qu'il faut» pour empêcher l'Iran d'obtenir l'arme atomique. Qu'est-ce qui n'a pas déjà été tenté et pourrait permettre d'éviter une intervention armée contre l'Iran cette année?
La balle est dans le camp des Iraniens. En ce qui nous concerne, nous avons fait et continuons à faire de réels efforts en vue d'atteindre une résolution diplomatique des préoccupations de la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien. Mais la fenêtre diplomatique se referme.
Le gouvernement iranien doit aborder avec sérieux et bonne foi les négociations à 5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, plus l'Allemagne, NDLR). Les 5 + 1 ont proposé des dates et des lieux de rendez-vous concrets depuis décembre, mais l'Iran a continuellement posé de nouvelles conditions pour gagner du temps. À ce stade, il n'y a toujours pas d'accord sur le prochain round de discussions, et les contacts se poursuivent. L'Iran n'ayant pas accepté de se rendre à Istanbul les 28 et 29 janvier, le groupe des 5 + 1 a proposé de nouvelles dates en février. Le groupe reste solide et uni, et nous remercions la France de son leadership indispensable.
Nous allons continuer à travailler pour programmer sans tarder de nouvelles discussions afin de se focaliser sur la substance des inquiétudes de la communauté internationale à propos du programme nucléaire iranien. Mais c'est aux dirigeants iraniens que revient la responsabilité de respecter leurs obligations internationales. À défaut, ils continueront à subir des sanctions paralysantes et une pression croissante.
Le président Obama a été clair: il empêchera l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire. Et nous ferons ce qu'il faut pour s'assurer que cela n'arrive pas. Mais il reste encore du temps et de l'espace pour que la diplomatie, soutenue par les pressions, réussisse.
«Nous allons pousser le Congrès à faire du trafic d'armes un crime fédéral sévèrement sanctionné», déclare le vice-président américain. Crédits photo : LINTAO ZHANG/AFP
Du «précipice budgétaire» à la réforme de l'immigration, le second mandat de Barack Obama peut-il changer l'Amérique? En quoi sera-t-il différent du premier?
Nous allons continuer à nous concentrer sur les créations d'emplois et la croissance de notre économie, de sorte que la classe moyenne américaine ait à nouveau une chance de se battre à armes égales. Premièrement, dans le cadre de notre plan d'ensemble pour consolider notre économie, nous nous sommes engagés à réduire le déficit d'un total de 4000 milliards de dollars sur les dix prochaines années, en incluant la réduction déjà réalisée. Deuxièmement, nous sommes absolument décidés à réduire la violence par les armes à feu dans notre pays, à travers une politique globale de sûreté des armes. Troisièmement, nous allons protéger la Terre pour les générations futures. Cela signifie que nous allons continuer à soutenir les énergies propres et renouvelables. Et cela veut dire s'attaquer de front à la réalité du changement climatique. Enfin, nous devons redresser notre système d'immigration, qui ne fonctionne plus. Nous sommes impatients de travailler avec les élus des deux grands partis au Congrès pour consolider nos frontières, sanctionner les entreprises qui font appel à de la main-d'œuvre sans papier, demander des comptes aux immigrants clandestins afin qu'ils méritent leur naturalisation et actualiser notre système d'immigration légale pour les familles, les travailleurs et les employeurs.
Le président Obama vous a chargé de mener le combat pour le contrôle des armes à feu aux États-Unis. Quelle sera la mesure de votre succès dans cette bataille?
Ce qu'il s'est passé à l'école élémentaire de Sandy Hook dans le Connecticutfut tragique, et nous continuons à porter le deuil de ces enfants et enseignants que nous avons perdus ce jour-là. Nous savons aussi que le temps de l'action est venu. C'est pourquoi le président et moi-même avons proposé un plan spécifique et global pour réduire la violence par armes à feu aux États-Unis. C'est un plan qui tient compte du droit constitutionnel de tout citoyen américain qui respecte la loi de posséder des armes, tout en reconnaissant que nous avons une obligation d'empêcher celles-ci d'arriver dans de mauvaises mains.
Quelques éléments de notre plan ont pris effet immédiatement, d'autres demanderont du temps. Certains pourraient être mis en vigueur sur décision du président seul, d'autres exigeront l'action du Congrès. Nous allons pousser le Congrès à faire du trafic d'armes un crime fédéral sévèrement sanctionné. Nous allons aussi l'encourager à renforcer notre système de vérification de l'identité des acheteurs - afin de s'assurer que des individus dangereux n'acquièrent pas d'armes à feu -, à interdire la vente de fusils d'assaut et à limiter la capacité des chargeurs de munitions.
Mais, comme le président et moi l'avons déjà souligné, ce combat ne concernera pas que nous. Il faudra que le peuple américain se dresse et exige que ses élus agissent en son nom. Nous croyons que c'est maintenant le moment d'agir et les Américains le pensent aussi. C'est pourquoi j'ai grand espoir que nous parvenions à une réforme significative, qui sauvera de nombreuses vies. Comme le président l'a dit, si nous sauvons une vie, cela vaudra déjà la peine. Je crois que nous pouvons en sauver beaucoup plus et, au bout du compte, c'est à cette aune que nous mesurerons notre succès.
LE FIGARO. - Quels sont les objectifs de votre tournée en Europe et de votre visite en France?
Joe BIDEN. - Les partenaires de l'Amérique de ce côté-ci de l'Atlantique restent nos plus vieux amis et nos plus proches alliés. En tant que vice-président, j'ai plus voyagé en Europe que dans aucune autre région du monde. Cela démontre la force du partenariat transatlantique et son importance pour les États-Unis. Ni l'Europe ni les États-Unis ne peuvent affronter les défis de notre temps l'un sans l'autre. Avec l'Europe, l'Amérique partage des valeurs communes, des intérêts, des capacités et des objectifs communs ; nous répondons plus efficacement aux mêmes défis globaux si nous agissons ensemble.
Il y a plus de deux siècles, les Français se sont tenus à nos côtés lorsque notre jeune nation aspirait à l'indépendance. L'histoire de nos deux Républiques est inextricablement liée. La France est notre plus vieil allié et je m'y rends aujourd'hui parce que nos destins et nos intérêts restent profondément entremêlés. De l'Afghanistan à la Libye, de l'Iran au Mali, de l'économie mondialisée au changement climatique, les États-Unis abordent les défis de notre époque ensemble avec la France.
Joe Biden et son épouse, Jill, à leur arrivée à l'aéroport d'Orly, dimanche. Crédits photo : POOL/REUTERS
Alors que la France est en guerre au Mali, Washington a consenti son aide après quelque hésitation. Est-ce parce qu'au sortir d'une décennie de guerres, les États-Unis préfèrent «diriger de l'arrière» ou parce que vous ne voyez pas cette région du monde comme une priorité stratégique?
Il n'y a pas d'hésitation de notre part. Nous partageons les objectifs de la communauté internationale de priver les terroristes de tout sanctuaire et de restaurer une gouvernance démocratique au Mali. En ce qui concerne l'opération militaire menée par la France, les États-Unis ont fourni un appui significatif - incluant échanges de renseignements, transport aérien et ravitaillement en vol - que le président Hollande et d'autres ont chaleureusement accueilli. Il est également important que nous collaborions pour aider les pays participants à mettre sur pied rapidement la Mission de soutien africaine (Misma). Les États-Unis contribuent aussi à cet effort de manière importante, grâce au transport aérien et au soutien logistique apporté aux forces arrivant à Bamako.
Le volet politique n'est pas moins essentiel. Les États-Unis et la France ont appelé à la mise en œuvre rapide de la résolution 2085 du Conseil de sécurité de l'ONU afin de restaurer la stabilité dans l'ensemble du Mali. Au côté de la communauté internationale, nos pays ont aussi encouragé le gouvernement intérimaire à établir une feuille de route en vue d'organiser des élections dès que ce sera techniquement faisable. Assurer la stabilité à long terme du Mali et la mise en place d'un gouvernement représentatif ne requerra pas seulement les efforts des États-Unis et de la France, mais l'implication des pays de la région et au-delà, ainsi que des institutions internationales. Nous continuerons à les assister dans ces efforts.
L'Administration Obama assure qu'elle fera «ce qu'il faut» pour empêcher l'Iran d'obtenir l'arme atomique. Qu'est-ce qui n'a pas déjà été tenté et pourrait permettre d'éviter une intervention armée contre l'Iran cette année?
La balle est dans le camp des Iraniens. En ce qui nous concerne, nous avons fait et continuons à faire de réels efforts en vue d'atteindre une résolution diplomatique des préoccupations de la communauté internationale sur le programme nucléaire iranien. Mais la fenêtre diplomatique se referme.
Le gouvernement iranien doit aborder avec sérieux et bonne foi les négociations à 5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, plus l'Allemagne, NDLR). Les 5 + 1 ont proposé des dates et des lieux de rendez-vous concrets depuis décembre, mais l'Iran a continuellement posé de nouvelles conditions pour gagner du temps. À ce stade, il n'y a toujours pas d'accord sur le prochain round de discussions, et les contacts se poursuivent. L'Iran n'ayant pas accepté de se rendre à Istanbul les 28 et 29 janvier, le groupe des 5 + 1 a proposé de nouvelles dates en février. Le groupe reste solide et uni, et nous remercions la France de son leadership indispensable.
Nous allons continuer à travailler pour programmer sans tarder de nouvelles discussions afin de se focaliser sur la substance des inquiétudes de la communauté internationale à propos du programme nucléaire iranien. Mais c'est aux dirigeants iraniens que revient la responsabilité de respecter leurs obligations internationales. À défaut, ils continueront à subir des sanctions paralysantes et une pression croissante.
Le président Obama a été clair: il empêchera l'Iran d'acquérir l'arme nucléaire. Et nous ferons ce qu'il faut pour s'assurer que cela n'arrive pas. Mais il reste encore du temps et de l'espace pour que la diplomatie, soutenue par les pressions, réussisse.
«Nous allons pousser le Congrès à faire du trafic d'armes un crime fédéral sévèrement sanctionné», déclare le vice-président américain. Crédits photo : LINTAO ZHANG/AFP
Du «précipice budgétaire» à la réforme de l'immigration, le second mandat de Barack Obama peut-il changer l'Amérique? En quoi sera-t-il différent du premier?
Nous allons continuer à nous concentrer sur les créations d'emplois et la croissance de notre économie, de sorte que la classe moyenne américaine ait à nouveau une chance de se battre à armes égales. Premièrement, dans le cadre de notre plan d'ensemble pour consolider notre économie, nous nous sommes engagés à réduire le déficit d'un total de 4000 milliards de dollars sur les dix prochaines années, en incluant la réduction déjà réalisée. Deuxièmement, nous sommes absolument décidés à réduire la violence par les armes à feu dans notre pays, à travers une politique globale de sûreté des armes. Troisièmement, nous allons protéger la Terre pour les générations futures. Cela signifie que nous allons continuer à soutenir les énergies propres et renouvelables. Et cela veut dire s'attaquer de front à la réalité du changement climatique. Enfin, nous devons redresser notre système d'immigration, qui ne fonctionne plus. Nous sommes impatients de travailler avec les élus des deux grands partis au Congrès pour consolider nos frontières, sanctionner les entreprises qui font appel à de la main-d'œuvre sans papier, demander des comptes aux immigrants clandestins afin qu'ils méritent leur naturalisation et actualiser notre système d'immigration légale pour les familles, les travailleurs et les employeurs.
Le président Obama vous a chargé de mener le combat pour le contrôle des armes à feu aux États-Unis. Quelle sera la mesure de votre succès dans cette bataille?
Ce qu'il s'est passé à l'école élémentaire de Sandy Hook dans le Connecticutfut tragique, et nous continuons à porter le deuil de ces enfants et enseignants que nous avons perdus ce jour-là. Nous savons aussi que le temps de l'action est venu. C'est pourquoi le président et moi-même avons proposé un plan spécifique et global pour réduire la violence par armes à feu aux États-Unis. C'est un plan qui tient compte du droit constitutionnel de tout citoyen américain qui respecte la loi de posséder des armes, tout en reconnaissant que nous avons une obligation d'empêcher celles-ci d'arriver dans de mauvaises mains.
Quelques éléments de notre plan ont pris effet immédiatement, d'autres demanderont du temps. Certains pourraient être mis en vigueur sur décision du président seul, d'autres exigeront l'action du Congrès. Nous allons pousser le Congrès à faire du trafic d'armes un crime fédéral sévèrement sanctionné. Nous allons aussi l'encourager à renforcer notre système de vérification de l'identité des acheteurs - afin de s'assurer que des individus dangereux n'acquièrent pas d'armes à feu -, à interdire la vente de fusils d'assaut et à limiter la capacité des chargeurs de munitions.
Mais, comme le président et moi l'avons déjà souligné, ce combat ne concernera pas que nous. Il faudra que le peuple américain se dresse et exige que ses élus agissent en son nom. Nous croyons que c'est maintenant le moment d'agir et les Américains le pensent aussi. C'est pourquoi j'ai grand espoir que nous parvenions à une réforme significative, qui sauvera de nombreuses vies. Comme le président l'a dit, si nous sauvons une vie, cela vaudra déjà la peine. Je crois que nous pouvons en sauver beaucoup plus et, au bout du compte, c'est à cette aune que nous mesurerons notre succès.
No comments:
Post a Comment